La justice de l’Union européenne a statué définitivement, ce mardi (10), contre les géants américains de la technologie Apple et Google dans deux procédures judiciaires de longue haleine avec de gros intérêts financiers en jeu, lancées par la Commission européenne. Mais pour un expert interrogé par RFI, la victoire est importante, mais elle est loin d’être une révolution.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en dernier ressort, a jugé qu’Apple devait rembourser 13 milliards d’euros (80,59 milliards de reais) d’arriérés d’impôts à l’Irlande pour avoir bénéficié d’avantages fiscaux indus, assimilés à une aide d’État illégale.
Dans un accord distinct, le tribunal luxembourgeois a confirmé une amende de 2,4 milliards d’euros contre Google pour pratiques anticoncurrentielles.
Les deux groupes se sont immédiatement dit « déçus » dans des déclarations séparées.
L’affaire Apple remonte à 2016, lorsque Bruxelles avait ordonné au fabricant d’iPhone de rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande. La somme correspond aux bénéfices issus du traitement fiscal favorable accordé à l’entreprise entre 2003 et 2014, dans ce pays où Apple a rapatrié tous ses revenus obtenus en Europe, ainsi qu’en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde.
La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a célébré la victoire lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
Mais pour Joelle Toledano, professeure associée à la Chaire « Gouvernance et régulation » de l’Université Paris-Dauphine et membre de l’Académie des technologies, c’est une victoire, mais qui est venue « très lentement ».
“Ces décisions ont été prises par la Commission européenne en 2016 pour Apple et en 2017 pour Google, sur des faits qui se sont produits au début de ce siècle, ou avant. Ce ne sont pas des histoires récentes”, dit-il.
Mais cela ne les empêche pas d’être positifs. “Nous nous trouvons à un moment où l’Union européenne confirme ce qui relève du bon sens, à savoir que pour Apple, l’Irlande a effectivement fourni des conditions intéressantes pour s’implanter dans le pays. Nous sommes au cœur de ce qu’ils ont cherché à condamner, à savoir l’aide d’État, c’est-à-dire que les pays ne se concurrenceraient pas”, analyse-t-il. “C’est un résultat positif, qui a pris du temps, mais que l’on peut applaudir.”
“Bien sûr, tout cela nous met sous pression, mais nous n’avons toujours pas de changements révolutionnaires”, insiste l’expert.
L’Irlande, paradis fiscal pour Apple
Pour la Commission européenne, la filiale irlandaise d’Apple a payé un taux d’imposition effectif négligeable sur ses bénéfices européens « compris entre 1 % en 2003 et 0,005 % en 2014 ».
Mais en 2020, en première instance, le Tribunal de l’UE a annulé la décision de l’exécutif européen de 2020, une gifle retentissante infligée à Vestager. La Commission a alors fait appel devant la CJUE.
Un nouveau rebondissement s’est produit en novembre 2023. Avec un avis non contraignant, mais généralement suivi par les juges, le General Counsel Giovanni Pitruzzella a remis en question la victoire d’Apple.
Il a proposé que les juges annulent la sentence et renvoient l’affaire devant le Tribunal de l’UE « afin qu’il puisse se prononcer à nouveau sur le fond ».
La Cour n’a cependant pas suivi cet avis, mais a statué définitivement sur le litige et a confirmé la décision de la Commission européenne de 2016 selon laquelle l’Irlande avait accordé à Apple une aide illégale que l’État était obligé de récupérer.
L’Irlande « respectera » cette décision, a annoncé le gouvernement à Dublin.
Apple a toujours affirmé ne bénéficier d’aucun traitement de faveur. “Nos revenus étaient déjà soumis à l’impôt aux Etats-Unis”, a répondu le groupe. “Cette affaire n’a jamais porté sur le montant des impôts que nous payons, mais sur le gouvernement auquel nous sommes obligés de les payer. Nous avons toujours payé tous les impôts que nous devons”, a déclaré la société.
Cas Google
Dans l’affaire Google, les juges ont confirmé l’amende de 2,4 milliards d’euros infligée en 2017 au groupe Mountain View pour abus de position dominante sur le marché de la recherche en ligne. Il s’agit de la deuxième sanction financière la plus lourde jamais imposée par l’UE dans une affaire antitrust.
La Cour considère que Google a abusé de sa position dominante en favorisant son propre service de comparaison de produits.
« Nous sommes déçus de la décision du tribunal. Nous avons apporté des modifications en 2017 pour nous conformer à la décision de la Commission européenne», a réagi le premier moteur de recherche mondial.
Google est accusé d’avoir favorisé le comparateur de prix de Google Shopping, rendant ses concurrents pratiquement invisibles aux yeux des consommateurs. Il a été contraint de modifier l’affichage de ses résultats de recherche pour se conformer aux exigences européennes.
Le géant californien a fait appel devant la Cour de justice de l’UE, qui a donné raison à la Commission, dans un premier accord publié en novembre 2021. Mais Google a déposé un nouveau recours, exigeant l’annulation de l’amende.
L’affaire a débuté en 2010 avec l’ouverture d’une enquête par Bruxelles suite à des plaintes de concurrents.
L’affaire a débuté en 2010 avec l’ouverture d’une enquête par Bruxelles suite à des plaintes de concurrents.
C’est l’un des litiges majeurs ouverts par Bruxelles contre Google, qui détient le record des deux plus grosses amendes jamais infligées par l’exécutif européen pour pratiques anticoncurrentielles.
L’objectif de 2,4 milliards d’euros pour Google Shopping représentait un montant record au moment de son annonce. Il a été dépassé en 2018 par 4,3 milliards d’euros supplémentaires sanctionnant un abus de position dominante du système d’exploitation Android pour téléphones portables.
Au total, Google a été condamné à une amende de plus de 8 milliards d’euros pour diverses violations de la concurrence.
Le groupe est également dans le collimateur des autorités réglementaires américaines. Depuis lundi (9), il affronte son deuxième grand procès en moins d’un an contre le gouvernement américain.