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« Il faut repenser notre agriculture vivrière » – Le meridien

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Au mois de septembre de l’année dernière, les ivoiriens s’étaient réveillés un matin avec une forte hausse du prix du kilogramme et partant, du sac de riz, aliment de base de nombre d’entre eux. Une « très bonne » nouvelle qui venait en rajouter à la déprime, leur quotidien, mais qui devait leur assurer « le bonheur », et surtout leur permettre de déguster les délices du Nirvana de le troisième République.

Dans un arrêté interministériel en date du 11 septembre 2023, signé des ministres Souleymane Diarrassouba (Commerce), Adama Coulibaly (Economie), et Moussa Sanogo (Budget), le gouvernement avait plafonné le prix de certaines denrées de grande consommation, dont le riz. Si on peut se féliciter de cette prompte réaction du gouvernement en plafonnant les prix, on peut également se désoler de voir le gouvernement ne s’attaquer qu’aux effets ressentis, sans toutefois remonter jusqu’à la racine du mal pour l’éradiquer.

La dépendance de la Côte d’Ivoire et par-delà de l’Afrique de l’extérieur pour son approvisionnement en riz, pose la problématique de l’orientation choisie de l’agriculture. Au début des indépendances, l’ingénieur agronome français René Dumont, sortit un livre, « l’Afrique noire est mal partie », qui fit scandale et a suscité tollé et indignation des élites africaines de l’époque, encore sous l’effet des effluves des indépendances recouvrées.

René Dumont y décrit les handicaps, les retombées de la colonisation et les problèmes de corruption qui pointaient déjà du nez. Il invitait les dirigeants africains à donner une orientation nouvelle à l’agriculture héritée de la colonisation, en mettant l’accent sur les cultures vivrières qui permettraient d’éradiquer la faim. Ce n’est un secret pour personne, les cultures de rente introduites par les colons, étaient uniquement destinées à approvisionner les industries européennes en matières premières. 

L’Afrique s’est donc mise à produire ce qu’elle ne consomme pas et à consommer ce qu’elle ne produit pas. Et tout le drame réside dans cette contradiction. Plus de 60 ans après le cri de cœur de René Dumont, qu’est-ce qui a véritablement changé ? Pas grand-chose en réalité. Il y a certes eu une diversification  des cultures de rente, mais l’esprit reste le même : produire pour alimenter les industries en Europe et ailleurs.

N’est-ce pas une honte de voir nos pays enrhumés, dès lors que la Chine, l’Inde, le Vietnam ou la Thaïlande éternue ?

Ainsi la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun…sont devenus de gros producteurs de cacao, le Mali, un gros producteur de coton, le Sénégal un producteur important d’arachide ou le Nigéria ; un gros producteur d’huile de palme. Ces performances obtenues, résultent d’une politique volontariste, qui a consisté à encadrer, à soutenir, voire, à subventionner les producteurs.

Mais paradoxalement, cette politique d’appui et de soutien a fait défaut et continue de faire défaut aux producteurs de vivriers. Ceux-ci continuent d’évoluer dans l’informel et ne peuvent avoir de production à même de les faire vivre décemment  et approvisionner le marché national. Les Etats sont donc dans l’obligation d’utiliser les fonds engrangés par la vente du café, du cacao ou du coton, pour importer du riz.

Avec des terres arables à profusion, un sol riche et un climat favorable, comment la Côte d’Ivoire et par delà l’Afrique, peuvent-elles se retrouver à importer du riz, qu’elles peuvent produire en grande quantité ? N’est-ce pas une honte de voir nos pays enrhumés, dès lors que la Chine, l’Inde, le Vietnam ou la Thaïlande éternue ?

Il est d’une absolue nécessité aujourd’hui, de repenser notre agriculture vivrière, par une politique volontariste d’appui, d’encadrement, voire de subvention pour nous sortir de cette honteuse dépendance, sans tenir compte des injonctions de fonctionnaires assis dans leurs bureaux luxueux des institutions internationales, à New York ou ailleurs…

Peuple tétanisé

Les années passent et se ressemblent en Côte d’Ivoire. A chaque augmentation de prix, le gouvernement promet de prendre des mesures pour contenir les augmentations. Et comme toujours, et comme chez un tailleur, les mesures sont prises, mais les habits ne sont pas toujours à la taille des ivoiriens. Des années en arrière, le Rdr, devenu Rhdp, dans l’opposition, était d’une virulence sans commune mesure, et n’accordait aucune circonstance atténuante au gouvernement Gbagbo dès lors qu’intervenait une augmentation de prix. 

Les augmentations de prix donnaient lieu à des manifestations violentes qui paralysaient le pays. Aujourd’hui, aucune manifestation de protestation n’est autorisée dans notre démocratie très avancée… Depuis 2011, le peuple ivoirien semble tétanisé. Il est devenu stoïque. Quel que soit le problème qui se pose à lui, il trouve toujours des ressorts, soit pour le tourner en dérision, soit il s’enferme dans un mutisme qui ressemble fort à une résignation, soit il recherche une autre affaire pour y déverser toute sa frustration et se défouler autant que faire se peut.

Devant le silence assourdissant des partis politiques et la discrétion des associations de consommateurs, les ivoiriens ont choisi les réseaux sociaux comme un exutoire pour invectiver, pleurnicher, se morfondre et prédire l’apocalypse. Mais toutes leurs complaintes et leurs gémissements n’iront pas au-delà des claviers de leurs ordinateurs, encore moins ne franchiront le seuil de leurs salons feutrés ou délabrés, le temps que leur soit offert un buzz qui retiendra toute leur attention. D’ici, ils devront continuer de boire le calice jusqu’à la lie ! Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.

Par Nazaire Kadia

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